En Haute-Savoie, le bois de la Colombière pourrait disparaître au profit d’une retenue collinaire destinée à alimenter les canons à neige. Pour éviter que les engins viennent dézinguer le bois, de chouettes zadistes veulent camper dans les arbres tout l’hiver. Ils et elles réclament le retrait pur et simple de ce projet.
Cabanes dans les bois, campements de fortune, bâches, palettes… Dans le bois de la Colombière, situé sur le plateau de Beauregard, les activistes construisent des toilettes, aménagent un camping, bricolent des pancartes. La Zone à défendre (ZAD) s’installe, grâce aux bons coups de main des habitant·es engagé·es qui viennent prêter
main-forte. Un accueil a même été mis en place pour répondre à la flopée de journalistes qui veulent couvrir l’événement.
Ça fait un petit bout de temps que je le connais, ce joli plateau de Beauregard. Tous les étés, on se retrouvait, ados, avec les copains du coin, pour une semaine en camp nature. Une joyeuse colo où l’on se baladait pieds nus dans les tourbières, on lançait des feux de camp sous la flotte, on apprenait à reconnaître la campanule, la marmotte et la drosera. Où l’on apprenait à faire du reblochon chez Jean-Pierre et Françoise. Quelques jours en pleine nature, avec la chaîne des Aravis pour seul décor.
« On nous confisque l’eau »
Bien loin de penser qu’une dizaine d’années plus tard, les politiques du cru, si fiers de leurs belles montagnes, décideraient de dézinguer le bois de la Colombière en contrebas*. L’endroit, qui accueille la chouette de Tengmalm, le triton alpestre, un papillon protégé et 15 espèces de chauve-souris pourrait être rayé de la carte. Et devenir le futur lieu de construction d’une retenue collinaire. Une énorme bassine d’eau de 148 000 mètres cubes, qui alimentera les canons à neige de la station de ski de La Clusaz.
En novembre 2021, une trentaine de militant·es d’Extinction Rebellion avaient déjà installé des hamacs durant deux semaines et piégé les arbres en plantant des clous dans les troncs pour bousiller les chaînes de tronçonneuses. Cette fois-ci, c’est du sérieux. Les activistes ont décidé d’y pieuter tout l’hiver en espérant l’abandon complet du projet de retenue d’altitude. « On est ici pour dénoncer l’absurde et le déni démocratique. On nous impose un projet d’un autre temps, sans concertation et dans la négation la plus totale des enjeux qui pèsent sur la commune », arguent les militant·es.
Il faut dire que le débat tourne court dans la vallée. Du côté du maire de La Clusaz (à l’initiative du projet) et des pouvoirs publics, on instrumentalise les sécheresses et la peur du manque d’eau potable pour présenter le projet comme une solution à ces problèmes. Fumisterie : l’eau de la retenue collinaire n’est ni potable pour les usagers, ni fromageable pour les agriculteurs. Seulement destinée à produire de la neige, encore et toujours. « La retenue confisque l’eau au détriment de la population et la rend disponible à l’enneigement artificiel et au tourisme de luxe, permettant ainsi la construction de nouvelles infrastructures », poursuivent-ils.
Omerta montagnarde
Dans les semaines à venir, des habitant·es des Aravis vont proposer une assemblée populaire sur le thème de l’eau. Comme un début de dialogue, après des années de luttes pour se faire entendre. En février 2021, une concertation publique sur la retenue collinaire avait tout de même réuni 81 % d’avis négatifs. En avril, une pétition pour l’abandon du projet avait rassemblé pas moins de 50 000 signatures. Mais les commissaires enquêteurs avaient pourtant rendu un avis favorable.
Dans la vallée, le climat est glacial. Le maire de La Clusaz, Didier Thévenet, a déjà porté plainte pour diffamation contre des colleurs sauvages d’affiches. Les opposant·es à la retenue subissent des appels insultants, des menaces orales et écrites et des attaques sur leurs chalets. Les policiers surveillent méthodiquement l’endroit avec leurs drones de compét’. Ils fouillent les militant·es et les randonneurs, confisquent les objets coupants et les fioles de sérum physiologique, utilisé pour se protéger des gaz lacrymos. Un militant a même été perquisitionné pour d’obscures raisons.
Alors, on y va quand ?
Clément Villaume
* Lire L’âdf n° 171.
Dernière minute : en plein bouclage fin octobre, nous apprenions que le juge des référés suspendait le projet de retenue. Les opposants vont pouvoir souffler un peu…