Pour la gestion des déchets organiques, on pourrait systématiser ce qui marche : les solutions simples, sobres en technologie, au plus près des habitants. Mais le changement d’échelle de cette gestion des déchets pourrait conduire à étouffer ces solutions au profit d’une industrialisation de la filière.
«Quand tu vois des camions, en milieu rural, ramasser des déchets organiques, tu te dis qu’on est mal parti. » Cédric Ponsignon est animateur salarié de l’association Eisenia, qui promeut le lombricompostage. Il est effaré par l’absurdité des mesures prises par certaines collectivités pour répondre à leurs obligations vis-à-vis des déchets organiques. Depuis le 1er janvier en effet, toutes les intercommunalités (l’échelon en charge de la gestion des déchets) doivent proposer une solution de tri des « biodéchets » : financement de composteurs individuels, collecte avec des bacs séparés, points de collecte (comme pour le verre), composteurs de quartier, etc. Bien entendu, certaines solutions sont plus écologiques que d’autres pour cette ressource éminemment naturelle, qui n’a pas besoin de technologie pour être « traitée » et devenir une ressource essentielle : du compost. La gestion idéale de ces déchets pourrait être aussi locale que possible. En ville, les composteurs de quartier ou d’immeuble pourraient s’afficher en place publique, constituer des nœuds où les voisins se retrouvent. Une personne dédiée – et payée – pourrait coordonner la gestion des composts d’une zone donnée. Elle serait aussi la personne référente pour encourager les habitants à franchir le pas, peu à peu. « En plus, le compost, c’est un super point de départ pour parler de plein de thématiques : de l’alimentation, des déchets en général, de l’agriculture… », constate Cédric Ponsignon dans son quotidien de travail, en agglomération lyonnaise.
Une obligation respectée par peu de communes
Ainsi, la gestion idéale des déchets organiques existe déjà ! De nombreuses collectivités proposent en effet des composteurs individuels, financent des associations de quartier qui animent des composts collectifs, et des associations comme Eisenia, elles aussi subventionnées, coordonnent et forment des collectifs qui le souhaitent. Il manque bien sûr des moyens : la gestion des solutions collectives repose trop souvent sur le bénévolat. Mais on se dit qu’avec un peu plus d’argent et, surtout, de volontarisme politique, le sillon jusque-là creusé, pourrait être largement approfondi : une solution simple, conviviale, low-tech, à la gestion des déchets organiques.
Or, beaucoup de collectivités ne semblent pas très « volontaires » : dès 2015, le principe est acté par la loi, d’une obligation pour les collectivités de proposer une solution de tri des déchets organiques. En 2018, une directive européenne impose cette obligation au 1er janvier 2024. Cette date butoir est confirmée et inscrite dans la loi en février 2020. Quatre ans plus tard, nous y sommes… et le constat est navrant : moins de la moitié des Français disposent d’une solution de tri.
Pour les collectivités réfractaires, la solution la plus simple pour entrer dans les clous n’est pas forcément la plus écologique. C’est le cas pour des territoires semi-urbains qui zappent la case « composts collectifs » en centre-ville et passent directement à la case collecte, qu’ils maîtrisent déjà pour les autres types de déchets. Il suffit de prévoir une grande plateforme de compostage, et le tour est joué. Les collectivités peuvent également être séduites par les sirènes de la méthanisation, qui promet un meilleur retour sur investissement que le compostage, mais qui nécessite plus d’infrastructures, et qui détourne la finalité nourricière des déchets organiques.
« Trimballer de l’eau »
« Avec une tonne de déchets, tu fais environ 300 kg de compost. Les déchets organiques sont majoritairement constitués d’eau, rappelle Cédric Ponsignon. On va faire tourner des camions de collecte souvent deux fois par semaine, pour trimballer de l’eau », déplore-t-il. Pour lui, la collecte peut être pertinente dans certains cas, mais sa systématisation, aux dépens d’une gestion plus locale des déchets organiques, illustre le processus d’industrialisation de la filière, qui s’oppose à ce qu’elle pourrait être idéalement. « Au lieu de créer des postes intéressants de coordinateurs de quartier, on crée des postes d’éboueurs, d’ouvriers-trieurs sur tapis-roulant. Pour la sensibilisation, on embauchera des stagiaires en communication pour se faire ambassadeurs du tri, alors qu’ils n’auront aucune compétence en compostage. Et côté particuliers, avec la collecte des déchets, ce n’est pas non plus la même approche : on balance nos déchets, il y a quelque chose de consumériste dans le sens où, quand les déchets sont traités loin des yeux, on ne voit pas les conséquences qu’implique notre production. »
Aujourd’hui, nos restes de repas, épluchures, fruits pourris et autres croûtes de fromage ne retournant pas à la terre représentent en moyenne 83 kg par habitant chaque année, d’après l’Ademe. Incinérés, parfois dans des usines de génération d’électricité, ces déchets composés majoritairement d’eau consomment plus d’énergie qu’ils n’en produisent. Et enfouis, ils émettent du méthane – non récupéré – et produisent des lixiviats, des liquides chargés en nitrates et métaux lourds. Demain, comment seront valorisés nos déchets organiques ? « Si la collecte se systématise, un jour ou l’autre, vues les tensions sur l’énergie, tout finira en méthanisation, géré par de grandes industries type Suez », craint Cédric. Si on donnait un peu plus de moyens, c’est-à-dire des emplois, aux utopies qui existent déjà, plutôt qu’à Suez ?
Fabien Ginisty