Dans le meilleur des cas, le bilan écologique du numérique pourrait s’améliorer dans les décennies à venir. Mais les méga-infrastructures en cours de construction nous entraînent vers le scénario du pire…
Bonne nouvelle : l’empreinte carbone du numérique pourrait diminuer d’ici 2050 ! C’est l’Ademe et l’Arcep qui nous l’apprennent, à travers une étude publiée en mars (Évaluation de l’impact environnemental du numérique en France et analyse prospective à 2030 et 2050). Ainsi, « l’empreinte carbone pourrait être divisée par deux par rapport à 2020 (…), la consommation de ressources abiotiques (métaux & minéraux) pourrait être divisée par trois par rapport à 2020 (…) et la consommation électrique baisser de près de 75 % par rapport à 2020 (et atteindre 12 TWh). » Incroyable ? Oui. Et d’ailleurs, nous n’y croyons malheureusement pas une seconde.
Ces projections répondent en fait au scénario le plus optimiste développé dans l’étude (nous parlerons de la pire après), appelé « Génération frugale ». Dans les faits, voilà ce que ça implique… Il faudrait d’abord que la consommation électrique unitaire des terminaux (ordiphones, ordinateurs, etc.) soit divisée par trois, ainsi que celle des réseaux et des centres de données. Il faudrait aussi que la durée de vie de ces terminaux soit allongée, en moyenne, de deux ans. C’est ambitieux, car celle des ordiphones n’excède pas, à l’heure actuelle, 23 mois.
Il faudrait encore que le nombre de terminaux par foyer soit divisé par trois, que le nombre de téléphones portables en tout genre diminue de 20 %, et que le nombre d’objets connectés reste identique à celui de 2020. On s’arrête là, même si l’objectif « Génération frugale » comporte encore d’autres conditions pour être atteint.
GOUGNAFIERS CONNECTÉS
Pourquoi n’y croirions-nous pas ? Parce que le gouvernement ne jure que par le développement de la 5G, pendant que l’Union Européenne est très fière d’annoncer la mise en orbite prochaine d’une nuée de satellites destinés à fournir de la connexion très haut débit sur le moindre recoin de la planète. Et que, justement, le grand manitou de l’internet spatial européen Thierry Breton justifie l’investissement, entre autres, par le développement des objets connectés. Autrement dit, pendant que les dirigeants et l’industrie construisent une gigantesque infrastructure nous menant vers le pire, il nous reviendrait de ne surtout pas l’utiliser, au nom de la sauvegarde de la planète. Ces gougnafiers connectés nous reprocheront ensuite le bilan écologique désastreux du numérique, comme ils culpabilisent aujourd’hui celles et ceux qui sont coincés dans une autre méga-infrastructure, celle de l’automobile.
Force est de constater, sans avoir à noircir le tableau, que tout est mis en œuvre pour nous orienter vers le scénario le moins optimiste. Par conséquent, regardons celui qu’ont développé l’Ademe et l’Arcep dans cette même étude. Il n’a rien de loufoque, projetant par exemple que « les déploiements de réseaux se poursuivent à un rythme élevé, notamment pour la 5G et les générations au-delà (6G et plus) » – ce qui ne fait que refléter la tendance actuelle. Avec ce scénario, « le parc de terminaux s’accroît surtout du fait de l’explosion du nombre d’objets connectés ».
Ce nombre serait multiplié par 40, pour dépasser les 10 milliards, rien qu’en France ! Bilan des courses : « l’empreinte carbone pourrait quintupler par rapport à 2020 (…), la consommation de ressources abiotiques (métaux & minéraux) pourrait doubler par rapport à 2020 (…) et la consommation électrique pourrait presque tripler (x2,6) par rapport à 2020 (et atteindre 137 TWh). » C’est ballot.
Nicolas Bérard
Photo : Pixabay