Le plateau de Valensole (04), autrefois cultivé à sec, ne peut plus se passer de l’eau du Verdon et du lac de Sainte-Croix. Cette situation résulte du changement climatique, du pompage dans les rivières, de pratiques agricoles polluantes et d’une absence d’anticipation du manque d’eau.
Eric et Christine Graux font du maraîchage bio en agroforesterie dans la vallée du Colostre, une petite rivière qui se jette dans le Verdon, à Gréoux-les-Bains (04). Ce couple de maraîchers a la chance de posséder son propre système d’irrigation : « On arrose avec l’eau des canaux gravitaires desservis par les sources. Il suffit d’ouvrir une martellière (1), on règle le débit à l’œil et l’eau irrigue la parcelle. Nos légumes sont arrosés par capillarité. » Le canal gravitaire est un mode d’irrigation ancestral qui amène l’eau d’arrosage à l’intérieur des terrains en suivant leur pente naturelle. La prise d’eau se fait à partir d’une source, d’une rivière ou d’un canal principal. Mais de nombreux maraîchers, pépiniéristes et arboriculteurs de la vallée du Colostre ne peuvent plus compter comme autrefois sur ces canaux.
« Le Colostre est de plus en sec à cause du réchauffement climatique et des prélèvements », explique Fabienne Guyot, chargée de mission sur l’eau à la Chambre d’agriculture des Alpes-de-Haute-Provence. Par ailleurs, la réglementation, qui limite les prélèvements dans les rivières, et la dégradation des canaux gravitaires, par manque d’entretien, ont complexifié leur utilisation pour l’arrosage.
“Nous, ça nous intéresse d’avoir l’eau”
À ces conditions déjà difficiles se sont ajoutées les perturbations climatiques. « La pluviométrie ne change pas dans le département, précise Fabienne Guyot. En moyenne nous avons 700 à 800 mm d’eau par an, mais l’eau n’est pas répartie de la même façon. Nous avons des printemps et des automnes secs. Si on veut avoir un peu de rendement, il faut arroser. » Ce qui n’était pas le cas dans le passé.
Pour ces différentes raisons, les agriculteurs attendent beaucoup du projet d’aménagement hydraulique, piloté par la Société du canal de Provence (SCP), qui va irriguer la zone nord du plateau de Valensole en puisant dans le Verdon et le lac de Sainte-Croix. Il concernera le village de Valensole (eau potable) et le plateau, puis le ravin de Notre-Dame et la vallée du Colostre. Les travaux qui devraient débuter à la fin de l’année se poursuivront jusqu’en 2029 et couvriront une zone de 5 600 ha (2) pour un coût de 61 millions d’euros. Ils seront financés par l’Europe et la Région (60 %), la SNP (20 %), la DLVA (Durance Lubéron Verdon Agglomération) à hauteur de 10 % et par les agriculteurs (10 %).
Yannick Sauvaire et son frère Gaetan sont eux aussi installés en bio, mais à Saint-Jurs, sur le plateau de Valensole, où ils produisent de la lavande et des plantes aromatiques. « Nous, ça nous intéresse d’avoir l’eau. On est plutôt pour. »
En effet, l’exploitation agricole est actuellement alimentée par un forage dont l’eau est polluée par des résidus d’anciens pesticides, aujourd’hui interdits. « C’est hyper compliqué, car notre eau nous revient très cher. On a 2 000 euros de frais d’analyse par an et autant en frais de filtration à base de charbon. Cette eau, il vaut mieux la laisser où elle est. » Ce cas est loin d’être isolé. Sur le plateau de Valensole, des zones de captage sont désormais abandonnées à cause de la pollution de la nappe phréatique par les pesticides et les nitrates.
De l’irrigation pour sécuriser les plantations
L’irrigation du plateau s’insère dans un projet intitulé Regain, lancé en 2014. Il vise également à fertiliser les sols – fatigués par l’absence de rotations et le travail mécanique –, diversifier les assolements et favoriser la biodiversité.
Le Parc naturel régional (PNR) du Verdon, un des partenaires de ce projet (3), a accompagné vingt-huit agriculteurs du coin, où poussent majoritairement, en alternance, la lavande et le blé dur. « Le sol est calcaire, peu profond, caillouteux, sensible à l’érosion et pauvre en matière organique », détaille Sophie Dragon-Darmuzet, chargée du projet Regain au PNR du Verdon. Ainsi, il ne retient pas l’eau, car ce qui permet de conserver l’humidité, c’est la présence d’humus qui se comporte comme une éponge. « On a accompagné des changements de pratiques pour restituer de la matière organique en laissant par exemple la paille de lavandin au sol après la récolte. On a mis en place des bandes enherbées autour des parcelles, des couverts végétaux entre les rangs de lavandin en semant du triticale, ou des légumineuses comme l’ers. Mais pour sécuriser ces couverts végétaux rustiques, l’irrigation est un plus. »
Yann Sauvaire confirme cette nécessité. Adaptation des cultures, plantations d’amandiers, installation d’un petit troupeau de brebis… Il a multiplié les alternatives pour amender son sol et pallier le manque d’eau, mais les résultats se font attendre. « On a amorcé un système résilient avec l’installation de couverts végétaux entre les rangs en juillet et août, mais dans cette période, il ne pleut plus du tout. » Il manque alors un coup de pouce pour faire démarrer les plantations.
Entre 2016 et 2018, le Parc a implanté 4 km de haies chez dix-huit agriculteurs pour lutter contre l’assèchement des cultures par le vent. « On voit que même si on choisit des espèces méditerranéennes, on a un taux de mortalité élevé par manque d’eau et à cause du gibier. Il faut de l’irrigation dans les premières années. Pas à toutva, mais pour sécuriser les plantations et favoriser la mise en réserve pour la reprise du lavandin en automne. »
Il y a un risque de faire des plantes irrigables
« Les besoins en eau sont nécessaires à Valensole, mais ce ne sont pas de gros volumes, modère Fabienne Guyot. Il faut une irrigation au printemps, en juin, et une irrigation fin août-début septembre, selon le climat et l’état des sols. Pour le lavandin, ça donne au plus 600 à 900 m³/ha. En comparaison, avec le maïs on est à 4 000 m³ par ha et pour un verger de pommes à 6 000 m³/ ha, en aspersion (4). Les agriculteurs n’arrosent pas par plaisir, car c’est du travail et de l’argent. » Ils vont devoir acheter les bornes (7 000 euros), payer l’abonnement (167 €/an) et la consommation (0,09 €/m³). « C’est pas donné ! »
Malgré ces estimations rassurantes, l’irrigation en tant que système suscite bien des inquiétudes et des questionnements. Yannick Becker, paysan et porte-parole de la Confédération paysanne (04) estime que « l’investissement pour le paysan est tel que pour le rentabiliser, il y a un risque qu’on fasse des plantes irrigables. Comme on court après les protéines, je pense au soja qui a besoin d’eau ». Les manifestations récentes d’agriculteurs du Sud-Ouest lui donnent raison. Des « irrigants » ont manifesté fin mars à Mont-de-Marsan, pour dire qu’ils avaient besoin d’eau pour sauver leur revenu, amortir leurs investissements et payer leurs emprunts. Ils protestaient contre l’annulation par le tribunal de Pau de l’autorisation de prélèvement d’eau sur le bassin Adour. « On met le paquet à coût de millions pour continuer comme avant, mais il n’y a pas de réflexion profonde sur comment faire sans eau, comment s’adapter », déplore Yannick Becker.
Nicole Gellot
Bonjour,
Merci pour cet article.
Je suis membre de l’association SOS Durance Vivante (https://sosdurancevivante.org/), si vous souhaitez prolonger votre réflexion sur l’eau dans notre région et notre bassin Durance, vous pouvez consulter notre site ou me contacter (je suis abonné vous devriez avoir mes cordonnées).
Cordialement
Jean Michel