Inondations, sécheresses, mégabassines et pollutions industrielles… Les enjeux de l’eau sont multiples. Tout en repensant nos usages, il devient urgent de mieux connaître son cycle et ses interactions avec le climat.
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Village dévasté par un torrent en Isère, rivières qui sortent de leur lit en Mayenne, pluies diluviennes en Gironde… Juin a rappelé que si le réchauffement climatique change peu le volume global des précipitations, il bouleverse leur rythme et leur distribution dans l’espace. Des zones humides le deviennent encore plus, des endroits secs se désertifient. Les pluies sont plus abondantes, voire violentes, sur des périodes plus courtes. Et les sécheresses, de plus en plus longues.
En réaction, une partie du monde agricole, soutenue par l’État, s’est mis en tête de multiplier les mégabassines. Les cuves, couvrant en moyenne l’équivalent de dix terrains de foot, pompent dans les nappes phréatiques. En plus d’organiser un partage injuste de l’eau, ces constructions empêchent les rivières et les nappes situées en aval de se recharger. À l’appel du collectif Bassines non merci, de la Confédération paysanne, des Soulèvements de la Terre et d’autres organisations, deux nouvelles journées d’action sont prévues les 19 et 20 juillet. « Au cours de ces 3 dernières années, 4 bassines déjà remplies ont été jugées à posteriori définitivement illégales, 15 projets ont été annulés par le tribunal après avoir été jugés inadaptés au changement climatique », se félicitent les Soulèvements de la Terre. Pourtant, en mars, le ministre de l’agriculture en a promis une centaine pour 2024.
L’empreinte eau de nos produits importés
Dans le Rhône, c’est contre la pollution industrielle de l’eau que la lutte s’organise. Le 2 mars, 300 personnes vêtues d’une combinaison blanche ont forcé les grillages de l’usine chimique Arkema, à Pierre-Bénite, connue pour rejeter des Pfas, polluants tenaces et cancérigènes, qui contaminent les sources d’eau potable (1). Suite à cette action, huit activistes d’Extinction Rebellion ont été jugés le 18 juin à Lyon, risquant trois à six mois de prison avec sursis. Appelée à la barre comme témoin, Anne Grosperrin, vice-présidente de la Métropole de Lyon, a dénoncé un « scandale sanitaire majeur. Face à un groupe industriel qui rejette sciemment ces substances toxiques, où se trouve l’intérêt général, et où se trouve la violence ? ». Des analyses ont révélé la présence de polluants dans le lait maternel. Un septuagénaire a témoigné : « Sur 9 molécules analysées, 7 sont présentes dans mon sang. Avec 114 fois la limite sanitaire pour la plus élevée. On m’a expliqué la contamination par les œufs de mes poules, offertes par la mairie. » Les Pfas sont intégrés dans une multitude de textiles, emballages alimentaires, revêtements, cosmétiques et autres produits de consommation courante.
Nos appareils numériques sont aussi une source de grave pollution. Dans le bassin grenoblois, un collectif dénonce l’accaparement et la dégradation de l’eau par l’usine de puces STMicroelectronics.
Nous consommons et polluons l’eau chez nous, mais aussi, indirectement, à l’autre bout du monde. L’hydrologue Charlène Descollonges souligne que si nous utilisons en France, en moyenne, 146 litres par jour pour nos besoins vitaux et domestiques, notre « empreinte eau » s’élève, elle, à 4 900 litres par jour, dont 53 % internes au pays, et 47 % externes, via les produits importés. Sur ces 4 900 litres, 37 % sont liés à la consommation de viande, 14 % aux produits industriels. (2)
« On reste avec un panier percé »
Alors que faire ? Réduire nos consommations semble une évidence. Ne pas gaspiller l’eau, et décider collectivement de ses usages prioritaires, est tout aussi indispensable. Mais ça ne suffit pas. « Économiser l’eau, c’est super, ça en laisse plus pour les autres. Mais ça n’a pas d’incidence sur la quantité disponible : on reste avec un panier percé, un gâteau de plus en plus petit à partager, souligne l’agronome Samuel Bonvoisin. Pour traiter le problème, il faut régénérer son cycle naturel. »
Comme le dit l’hydrologue slovaque Michal Kravčík, c’est à un « nouveau paradigme de l’eau » que nous invite l’hydrologie régénérative. Pour comprendre, il faut se remémorer les cycles de l’eau. Le plus connu, le « grand », voit l’eau des océans et des lacs s’évaporer, voyager au-dessus des continents sur lesquels elle retombe en pluie, s’infiltrant dans les sols ou ruisselant jusqu’aux rivières. C’est « l’eau bleue », qui représente un tiers des précipitations continentales. Le « petit cycle » repose quant à lui sur la photosynthèse des végétaux et sur la porosité des sols. L’« eau verte », issue de leur évapotranspiration, peut circuler jusqu’à cinq ou six fois entre la terre et le ciel avant de retourner à la mer. Elle fournit les deux tiers des pluies continentales.
Mis à mal par la déforestation, la dégradation et l’imperméabilisation des sols, ce cycle peut être rétabli localement par des interventions simples, favorisant et répartissant l’infiltration des pluies dans le sol. Partout dans le monde, des expériences de ce type ont un effet spectaculaire : les paysages reverdissent, les réserves d’eau se reconstituent, les périodes de fortes pluies sont de moins en moins dévastatrices…
Les « deux jambes » de l’évolution du climat
Ce constat amène à repenser les liens de cause à effet entre cycle de l’eau et réchauffement, dont les interactions ne sont pas encore parfaitement connues. Car depuis le Sommet de Rio, en 1992, les travaux du Giec (Groupe international d’experts sur le climat) et les Cop (Conférences internationales sur le climat) sont focalisés sur les émissions de gaz à effet de serre.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les années 70, l’Organisation météorologique mondiale décrivait les « deux jambes » de l’évolution du climat : l’occupation des sols et le cycle de l’eau au niveau local d’une part, et d’autre part le réchauffement dû aux gaz à effet de serre au niveau global (3). Vingt ans plus tard, les travaux de Millán M. Millán sur la disparition des orages d’été en région méditerranéenne, ont montré le rôle de l’altération des sols. Ces données n’ont cependant pas été reprises par le Giec, dont les modélisations informatiques des émissions de CO2 étaient devenues le principal outil.
Aujourd’hui, le Giec appelle à la coopération avec les castors, dont les effets bénéfiques sur la régénération du cycle de l’eau ont été documentés en Amérique du Nord. Le début d’une nouvelle façon d’aborder le climat ? Aussi « miraculeuses » soient-elles, les initiatives locales ne suffiront cependant pas à rétablir le cycle de l’eau à l’échelle de la planète, avertit la réalisatrice Valérie Valette, qui a vulgarisé les travaux de Michal Kravčík. Nous devrons aussi libérer les terres accaparées par l’agro-industrie, afin de les rendre à la forêt et à la paysannerie.
Lisa Giachino
1 – Lire L’âdf n°194, avril 2024. 2 – L’eau, Fake or not ? Charlène Descollonges, Tana, 2023. 3 – Lire à ce propos « Comment la thèse des « deux jambes » sur les causes de l’évolution du climat a été éliminée », de Daniel Hofnung, sur son blog d’Attac.
SOMMAIRE COMPLET DU DOSSIER
- « S’adapter et régénérer, ça n’a rien à voir ! »
- Faire avec plutôt que contre la nature
- Slovaquie : le « nouveau paradigme de l’eau » en pratique
- « Renaturation », après la politique de la terre drainée, le retour aux sources ?
- Activer le « fluvio-sensible » pour défendre les rivières
- Les gouttes d’art font les grandes luttes