Dans cette île de l’archipel des Comores, devenue département français, un tiers des foyers n’ont pas l’eau courante et de nombreuses familles vivent dans la chaleur et la promiscuité. L’hôpital de Mamoudzou se prépare tant bien que mal à accueillir les malades.
Pendant qu’elle nous parle au téléphone, Ouarda (1) fait la queue dans un supermarché de Mamoudzou, la capitale de Mayotte. Aide-soignante au centre hospitalier, elle remarque que les client·es ne respectent pas les distances de sécurité. « Ils nous mettent en boucle les consignes de sécurité, mais c’est en français, ils devraient le mettre en shimaoré ! »
Avant de rentrer dans son village, la jeune femme s’arrête chez l’une de ses tantes qui attend une livraison. « Là où je suis, dans la rue, ils sont cinq assis côte à côte, à discuter, témoigne-t-elle. C’est impossible de rester dans les petits bangas (2) où il fait hyper chaud, avec les gamins qui crient ! » À la maison, Ouarda sortira sa clé pour ouvrir le cadenas qui ferme désormais l’accès à la cour intérieure, lieu de vie principal de la famille. En temps normal, les villageois·es circulent volontiers entre les habitations pour prendre des nouvelles, demander ou apporter de la nourriture, partager un moment…
On a mis le cadenas pour que les gens arrêtent d’entrer et sortir sans arrêt. Là, si quelqu’un a besoin d’un truc, on le balance par-dessus ou on le pose devant chez eux. Mais il y a des gens qui ne comprennent pas qu’on s’enferme.
À Mayotte comme à la Réunion, le confinement a été déclaré le 24 mars, soit une semaine après la France hexagonale. Le 30 mars, quatre-vingts cas avaient été recensés à Mayotte, dont plusieurs avaient nécessité une réanimation. Le premier décès a eu lieu le 30 mars. Et les conditions de vie d’une partie importante de la population de l’île sont plus qu’inquiétantes pour la suite.
Rester chez soi, se laver très régulièrement les mains : les « gestes barrières » sont difficiles à respecter dans certaines familles et certains quartiers. En 2017, l’Insee relevait que trois foyers sur dix n’avaient pas l’eau courante. Sur un peu plus de 250 000 habitants recensés officiellement, près de la moitié, originaires des autres îles de l’archipel des Comores, n’ont pas la nationalité française, souvent pas de titre de séjour, et vivent dans des conditions plus ou moins précaires. De nombreux Mahorais ayant la nationalité française sont également touchés par la pauvreté.
L’armée « devrait installer des lits sur les terrains de foot au lieu de coller des amendes aux Mahorais »
Saindou Allaoui est infirmier libéral à Mamoudzou, et président de la branche locale du Syndicat national des infirmiers libéraux. Il constate les limites du confinement : « Quand vous avez 7, 10 personnes dans une pièce en tôle, avec la chaleur… On ne peut pas consigner tout le monde ! Alors, les gens continuent à vivre comme si de rien n’était. » L’infirmier s’inquiète également beaucoup du manque d’eau, et de la rupture de stock en gel hydro-alcoolique.
Nous-mêmes, quand on travaille, il y a des endroits où on ne peut pas se laver les mains. Les habitants, on leur dit de se laver les mains tout le temps. Mais avec quoi ?
Aux 150 infirmiers libéraux de l’île, il est demandé « de prendre le relais pour la surveillance et le traitement si quelqu’un est diagnostiqué avec le virus sans complication, et qu’il est confiné à domicile », indique Saindou Allaoui. Mais lorsque nous l’avons joint vendredi 27 mars, seuls des masques chirurgicaux, « périmés », étaient mis à leur disposition.
Thani Mohamed Soilihi, sénateur LREM de Mayotte, a demandé, outre un renforcement des moyens médicaux, que l’armée intervienne pour obliger la population à respecter le confinement. Ouarda voit les choses autrement. « Les militaires et gendarmes, au lieu de coller des amendes aux Mahorais qui sont obligés de se déplacer pour faire leurs courses, devraient plutôt être mobilisés pour prendre des terrains de foot, y installer des lits, et que les malades ne rentrent pas chez eux contaminer leur famille et leurs voisins. »
« Il faut au moins une vingtaine de respirateurs supplémentaires »
Le centre hospitalier de Mamoudzou, le seul de l’île, se prépare à un afflux de malades. C’est là que seront envoyées toutes les personnes en état critique : les dispensaires répartis dans l’île sont chargés du dépistage, et d’orienter les patients vers le confinement à domicile ou l’hôpital. La salle de réveil a été transformée afin d’accueillir les malades en réanimation non contaminés par le virus. Les victimes du Covid-19 occuperont, elles, toute la salle de réa. « Ils nous ont formés sur l’habillage et le déshabillage de personnes infectées. On se prépare au pire », indique Ouarda.
Comme en France hexagonale, le manque de matériel complique le travail des soignant·es. Et dans ce contexte d’outremer encore marqué par des rapports coloniaux entre métropolitains et autochtones, la gestion de la pénurie ne va pas sans infantilisation du personnel.
Tous les matins, on passe tous par la même entrée, ils prennent notre température. Les masques sont dans le bureau des cadres, ils fouillent nos sacs pour voir si on n’en a pas volé. Il y a un tube de gel hydroalcoolique par service, et si par malheur on le finit dans la journée, on se fait engueuler… Alors que l’on doit très, très souvent se nettoyer les mains.
Ouarda trouve par ailleurs très légères les mesures de précaution prévues pour le personnel soignant. « On nous dit que si on porte le masque chirurgical, ça va ! Mais après, on rentre chez nous et certains n’ont pas de voiture, ils prennent le taxi [collectif], avec d’autres gens. » La section FO du centre hospitalier est également préoccupée du fait que des soignant·es revenant de voyage dans des zones à risque, aient été appelés à reprendre immédiatement le travail. « Nous avons demandé qu’ils soient d’abord envoyés auprès du médecin du travail pour faire un dépistage », indique Dhoifiri Darmi, secrétaire général de la section.
Le gouvernement a annoncé que le nombre de lits en réanimation allait passer de 16 à 50, et que sept respirateurs supplémentaires seraient envoyés sur l’île. « Ce n’est pas suffisant : il nous en faudrait au moins une vingtaine », souligne Dhoifiri Darmi.
Déjà la dengue et les bronchiolites
Cette crise risque de se superposer à deux épidémies qui sévissent déjà sur l’île : la dengue, transmise par les moustiques, qui sévit depuis le mois de décembre, et la bronchiolite, une infection virale qui touche les nourrissons et jeunes enfants, et revient en force à chaque saison chaude et humide.
Près de 2 500 cas de dengue ont été confirmés et ont donné lieu à 175 hospitalisations (3). Cinq personnes sont mortes, qui présentaient d’autres maladies : comme le Covid-19, la dengue peut devenir très sévère chez des personnes touchées par une autre affection.
Dhoifiri Darmi déplore que la politique de santé publique à Mayotte ait été « oubliée » depuis la mise en place de l’Agence régionale de santé (ARS) basée à La Réunion, en 2010. « Avant 2010, il y avait la Ddass (4) qui organisait des campagnes de prévention, s’adressait à la population pour qu’elle lutte contre les nids à moustiques. C’est seulement depuis janvier que Mayotte a une ARS de plein exercice. »
Aux Comores indépendantes, un centre d’isolement par île
Aux Comores indépendantes, il n’y a pour l’instant, officiellement, aucun cas de Coronavirus – des articles de presse faisant état de deux cas admis à l’hôpital de Moroni, la capitale, ont fait l’objet d’un démenti de la part du gouvernement. Sur chacune des trois îles, un centre médical d’isolement a été préparé, comprenant des lits de traitement et d’autres de réanimation. Plus encore qu’à Mayotte, l’accès à l’eau potable est problématique. À Moroni, commerçants et entreprises ont distribué 1 000 seaux dotés de robinets pour faciliter le lavage des mains. Le système de santé, fragile, dispose de peu de moyens ; les dépistages devront, en l’état actuel des choses, être envoyés dans les pays voisins.
Pourtant, face à la progression du nombre de cas à Mayotte et à la fermeture des frontières, la chaîne de télévision locale Mayotte Première annonce que des transports clandestins de personnes, sur les barques surnommées kwassa kwassa, ont lieu de Mayotte vers Anjouan – dans le sens inverse du trajet habituel. Dénoncés par des habitants d’Anjouan qui craignent une contamination, ces voyageurs ont été placés en quarantaine. La chaîne locale précise toutefois que les traversées à destination de Mayotte n’ont pas ralenti.
Lisa Giachino
(1) Le prénom a été changé.
(2) A l’origine, petites constructions à l’écart de la maison familiale, dans lesquelles les jeunes garçons prenaient leur autonomie. Aujourd’hui, désigne aussi les habitations précaires.
(3) Selon Mayotte Première.
(4) Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, supprimée en 2010.