Lutter contre les pesticides, puis contre la précarité alimentaire, puis contre la malbouffe… Quatre organisations d’univers militants différents se sont réunies pour porter d’une même voix leur constat d’un système agro-alimentaire à bout de souffle et leurs solutions pour impulser un nouveau modèle.
Au moins 2 millions de personnes recourent à l’aide alimentaire, d’après l’Insee. Et les agriculteurs manifestent plus que jamais leur ras-le-bol. Et l’obésité est désormais traitée comme une épidémie par l’Organisation mondiale de la santé. En France, les cas de diabète ont augmenté de 160 % en 20 ans. Et 30 % des oiseaux des champs ont disparu ces quinze dernières années, d’après l’Observatoire national de la biodiversité. Rien à voir ?
Aux pauvres les politiques sociales, aux agriculteurs les politiques agricoles, aux malades les politiques sanitaires, aux oiseaux l’écologie. Politiques de silos, politiques qui réduisent la focale, qui divisent le problème en « petits » morceaux. En résistance, le monde militant subit lui aussi cette segmentation : le monde caritatif ici, les environnementalistes là, la résistance paysanne ailleurs. Quant aux malades de la malbouffe, « la recherche médicale avance ».
Prix du caddy… et le reste ?
Pour porter un autre discours et rouvrir les imaginaires, des convergences font plaisir à voir. C’est le cas de celle qui regroupe le Secours catholique, le réseau des Civam (1), l’association Solidarité paysans et la Fédération française des diabétiques. « En alliant nos regards et nos voix, nos associations veulent envoyer un message : nous ne nous résignerons pas. » En d’autres termes : il faut réfléchir en commun à un système agro-alimentaire qui réponde à tous les enjeux, à savoir procurer une alimentation qui soit à la fois saine, durable, accessible et rémunératrice. C’est ce que font les quatre organisations dans une rapport publié en septembre et intitulé « L’injuste prix de notre alimentation ».
Drôle de titre ? Le but est de s’attaquer à l’argument massue – le seul ? – des défenseurs du modèle productiviste actuel, à savoir celui de la baisse du prix du caddy. Sur le temps long, c’est vrai : la part de notre budget dédié à l’alimentation a baissé… mais à quel prix ? Voilà la question centrale que posent les quatre organisations. « Le prix de l’alimentation n’est pas toujours celui que l’on croit, car il n’est pas seulement celui que l’on paie en caisse », rappellent les organisations. Elles ont missionné un bureau d’études pour calculer combien coûte ce système alimentaire à la collectivité.
Réparer des dégâts… qu’on finance
« Chaque passage en caisse ne dit rien, par exemple, de l’argent public engagé pour la dépollution, la couverture des maladies professionnelles, des maladies des consommateurs du fait d’une alimentation trop grasse et trop sucrée… »
12 milliards d’euros pour la prise en charge des maladies liées à une mauvaise alimentation (obésité et diabète en particulier). 600 millions d’euros pour la prise en charge des maladies professionnelles liées à l’usage des pesticides.
3 milliards pour « compenser » ou « réparer » les impacts environnementaux de l’agriculture (dépollution de l’eau, etc.). 3 autres milliards pour compenser la faiblesse des rémunérations dans le secteur agricole et agro-alimentaire. Ces quelque 19 milliards ne prennent pas en compte les coûts non calculables, comme celui de la dégradation des sols, ou celui des maladies liées à l’ingestion de pesticides par l’eau et l’alimentation, précisent les organisations.
La collectivité sort donc le portefeuille pour réparer les dégâts les plus visibles d’un système… qu’elle finance par ailleurs ! Le bureau d’études a compilé les subventions, les achats directs (restauration collective publique) et les exonérations fiscales : 48 milliards d’euros sont injectés par la collectivité chaque année dans le système agro-alimentaire. Or, « plus de 80 % des soutiens publics entretiennent une logique de course aux volumes, qui va de pair avec la standardisation des matières premières et une pression sur les prix payés aux agriculteurs », dénoncent les organisations.
Programme transversal
Beaucoup d’argent, donc… qui pourrait être utilisé différemment. Le collectif ne chiffre pas le coût de ses 22 propositions, mais on imagine qu’avec une cinquantaine de milliards, il y aurait de quoi orienter différemment le paquebot agro-alimentaire (quand les dépenses alimentaires des ménages représentent environ 300 milliards par an). Il y aurait de quoi mettre en œuvre un droit à l’alimentation effectif, piloté par un délégué interministériel qui limiterait la segmentation des politiques publiques. Multiplier les projets alimentaires de territoire, ouvrir les instances agricoles aux citoyens, renforcer l’éducation à l’alimentation, encourager et expérimenter des caisses alimentaires communes où s’exprime la solidarité entre citoyens, flécher clairement les subventions en direction de l’agro-écologie, garantir des prix décents aux agriculteurs, encadrer les taux de marge pratiqués par la grande distribution, s’attaquer à la publicité pour la malbouffe… 22 propositions qui vont dans le sens d’un mieux être pour les agriculteurs, les plus précaires et les environnementalistes. Ça ferait du monde en manif.
Fabien Ginisty
1- Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural.