Total et les autres grandes entreprises polluantes investissent massivement dans des projets de compensation carbone. Elles noient ainsi le poisson de leur responsabilité climatique. Ces projets, qui s’avèrent destructeurs, sont aussi des outils de spéculation sur le réchauffement climatique. Exemple d’actualité avec Total au Congo.
Le groupe Total annonce qu’il « accélère » son « ambition climatique ». Qu’est-ce que cela peut bien signifier, pour une multinationale basée sur l’exploitation pétrolière ? Renoncer ? Fermer la boîte ? Non, le méga-projet d’exploitation pétrolière en Ouganda et en Tanzanie écarte cette hypothèse. La réponse est plutôt : atteindre la neutralité carbone en 2050. Total ne vise donc pas « zéro émission », mais « zéro émission nette ». La différence est de taille ! La neutralité carbone, en effet, ce n’est pas avoir des émissions nulles, c’est avoir un solde d’émissions nul, entre les gaz à effet de serre émis et ceux captés dans l’atmosphère. Donc Total va mettre le paquet dans les mesures de compensation carbone, pour pouvoir polluer massivement tout en s’affichant « neutre ». En parallèle des méga-projets d’exploitation pétrolière, il va développer encore plus rapidement des méga-projets de compensation carbone. Si seulement ces derniers n’avaient aucun impact, on pourrait se dire qu’il s’agit seulement d’une opération de greenwashing de la part d’une entreprise qui émet autant de gaz à effet de serre que l’ensemble des Français. Ce n’est malheureusement pas le cas.
Nomades, gorilles, paysans : dehors !
Parmi les derniers projets annoncés, la plantation d’une forêt d’acacias de 40 000 hectares en République démocratique du Congo. D’après le pétrolier, en plus de compenser, le projet n’apporte que des bienfaits au territoire. Ainsi, à terme, Total va créer un « environnement forestier » qui permettra « d’accroître la biodiversité » du territoire, qui aujourd’hui se résumerait à un « plateau sableux exposé aux feux de brousse ». Sans compter les emplois locaux créés par la firme, qui « impacteront positivement plusieurs milliers de personnes », ainsi que la ressource produite en bois, qui « alimentera Brazzaville et Kinshasa en sciages et contreplaqués ». Le Congo ne devrait-il pas remercier Tonton Total ?
Cette vision enchanteresse n’est pas partagée par les premiers concernés, à savoir les habitants. La zone en question, le plateau Batéké, est en effet le territoire des Batouas, un peuple autochtone nomade. Des centaines d’habitants y pratiquent aussi l’agriculture. Bref, le plateau Batéké n’était pas un territoire désertique et abandonné, comme le donne à voir l’entreprise. Comment Total se l’est approprié ? Par la force, avec l’appui du gouvernement congolais, a révélé Mediapart. Le média en ligne a recueilli le témoignage d’habitants dépossédés, physiquement empêchés d’aller cultiver leurs terres. « “Aujourd’hui, les populations pleurent, et amèrement, témoigne Maixent Jourdain Adzabi, représentant d’une famille […]. Nous n’avons plus d’espace pour travailler, ils ont tout pris ! Mais en 2023, quel sera le sort de nos enfants ? Nous ne vivons que grâce à nos champs. Nous n’avons rien d’autre.” »
Spéculation sur le climat
Ces 40 000 hectares – quatre fois la superficie de Paris – de savane dense ne nourrissent pas seulement des humains, mais toute une faune sauvage, dont certaines espèces de gorilles. Total va ainsi raser tout un écosystème, fragile mais à l’équilibre, habitants compris. Pour produire du pétrole ? Même pas, aurait-on envie de dire. Pour pouvoir s’afficher neutre en carbone. À moins que Total y trouve d’autres intérêts, encore plus prosaïques ?« La compensation carbone se présente aujourd’hui, pour de plus en plus d’acteurs privés et financiers, comme une véritable opportunité économique », alerte le CCFD Terre solidaire dans un rapport. L’ONG montre comment les grandes entreprises se sont lancées dans le secteur de la compensation volontairement, de manière à imposer peu à peu cette fausse solution. En parallèle, ces engagements volontaires représentent pour elles des investissements spéculatifs, car la demande en crédits carbone va exploser, et avec elle le prix de la tonne de carbone. Les premières entreprises sur ce marché pourront alors revendre à prix d’or leurs « stocks » de carbone. Ainsi, une plantation d’acacias sur un foncier acquis pour une poignée de dollars coûte peu cher et pourra rapporter gros… Et si on interdisait la compensation carbone ? Au lieu de constater des dégâts supplémentaires aux projets censés être compensés, cela nous obligerait à nous poser la question de l’utilité des projets compensés, et de la responsabilité des grandes firmes pétrolières.
Fabien Ginisty







