Depuis le mois de juin, les Oléronais peuvent cuisiner une farine issue de blés locaux moulus à l’énergie des vents de leurs côtes.
« L’île aux cents moulins » n’en compte plus qu’une trentaine. Et depuis juin dernier, l’un d’entre eux a de nouvelles ailes dans le vent, pour faire tourner ses deux paires de meules ! Tout au bout de l’île d’Oléron, le moulin de la Brée, sur la commune de La Brée les Bains, a repris du service, au terme de deux ans de travaux de restauration.
Arrêté en 1920, il était devenu résidence familiale, jusqu’à sa mise en vente en 2012. C’est alors un « groupe de 4 ou 5 producteurs de céréales », qui commence à démarcher la communauté de communes. Parmi eux, Cécile Nadreau, du Jardin de la Josière, ferme en maraîchage, vignes et blé bio située juste en face du moulin, a régulièrement celui-ci « en ligne de mire ». Alors, le voir mis en vente, sur internet, a semblé une belle opportunité d’avertir la chargée de mission à l’agriculture. « Ça a été coconstruit d’emblée. Il faut souligner l’importance de l’engagement des collectivités, communauté de communes et mairie. Le dossier était lourd et ils auraient pu baisser les bras, souligne Cécile. On a monté un projet pour savoir si c’était réaliste ou pas de le racheter. Et l’idée de le refaire tourner, c’était la cerise sur le gâteau. » Après un diagnostic par une entreprise spécialisée, le projet de faire au moins un site de préservation est validé, ainsi que celui de moudre le blé local.
Cheval au trot
« Meunier, tu dors, ton moulin ton moulin va trop vite… » Depuis juin dernier, Aline Albalat doit être vigilante au rythme des ailes et des meules du moulin de la Brée, où elle a trouvé un temps plein pas banal, en meunerie et médiation. Pas question de s’endormir comme dans la comptine. L’impressionnante mécanique, qui entraîne les meules de silex, doit tourner au rythme d’un cheval au trot, ni plus ni moins. Le bras de l’auget qui bute sur le babillard permet d’entendre le tic tac du moulin. Pour appréhender la machine, il faut savoir travailler avec tous ses sens. Odeurs de la pierre qui chauffe, du grain qui s’écrase, craquements des rouages de bois qui s’entrechoquent, vibrations… Pour un réglage au demi-grain près ! « Le moulin nous raconte des choses », témoigne Aline. Et chacun est différent, selon cette meunière qui en connaît un rayon. Elle œuvre dans le domaine depuis 17 ans après un BTS tourisme, une école meunière à Surgères et surtout une transmission de meunier à meunier, notamment dans un moulin à Jonzac.
Gérer le vent
Celui de la Brée, tout juste rénové, est « hyper agréable ». La principale difficulté : la gestion du vent. Pour cela, il faut d’abord tourner la toiture posée sur le fut, à l’aide d’un guivre, sorte d’immense levier en bois posé au sol et qui monte au sommet, pour orienter les ailes dans la bonne direction. Puis il faut gérer la force du vent. Les ailes fraîchement refaites – elles étaient souvent amputées quand les meuniers arrêtaient, car imposables – sont aujourd’hui équipées du système Berton. Ce système permet à la meunière de régler son moulin de l’intérieur, ce qui évite de grimper sur le toit comme du temps des toiles, et de risquer la chute.
La restauration a tenu les Oléranais en haleine, notamment au moment de recoiffer le fut. Ce sont des « charpentiers-amoulageurs de père en fils, qui ont restauré et recréé les pièces mécaniques aussi fidèlement que possible, pour le faire fonctionner à nouveau », lit-on au musée installé dans les locaux attenants. « C’est assez majestueux, la puissance que ça représente, de travailler avec les énergies naturelles », témoigne Aline, « c’est hyper honorable ».
Pour les locaux
Avec ses ailes et ses quatre énormes disques de silex, la capacité du moulin est de 45 tonnes de blé pour 38 tonnes de farine par an, avec cinq producteurs fournissant le grain dont deux en bio et trois en conventionnel. La double paire de meules – dont l’une est d’origine – permet d’avoir deux circuits séparés. La vente se fait en direct au moulin, à la boutique du musée, ce qui fait « un autre produit local que le sel ou le vin [deux ingrédients phare à Oléron, ndlr] », souligne Philippine Chignard, médiatrice au musée. « Les gens d’ici achètent, le pari sur la population locale est remporté », assure-t-elle. Pour ne pas faire concurrence à la ferme de la Josière, juste en face, qui fabrique elle aussi de la farine, le prix de vente est identique et les circuits de distribution sont différents. Cette année, ce sont 7 tonnes de farine, depuis juin, qui sont sorties du fut. Le son est aussi récupéré, non commercialisé mais donné, pour des poules par exemple.
Le musée accueille du public en saison, et prévoit des ateliers de panification. Mais l’idée n’est pas de faire du moulin « une machine à touristes », souligne Aline, qui y guide une visite par jour en été. Tout le reste du temps est destiné à la production. Pour la suite, les réflexions sont entre autres à l’approvisionnement en blé, à diversifier ses variétés, à gérer le tri, le stock…
Lucie Aubin