L’histoire du chocolat, née chez les Mayas qui utilisaient les fèves de cacao comme monnaie d’échange et pour préparer une boisson, est intimement liée à celle de la colonisation, de la disparition des grandes civilisations d’Amérique du Sud, et de l’esclavage. Aujourd’hui encore basée sur l’exploitation des populations d’Afrique et d’Amérique du Sud, l’industrie du chocolat profite essentiellement à quelques grandes firmes occidentales.
Une grande pirogue s’avance vers la côte. Sous un dais de palmes tressées, un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants. Ce sont des marchands mayas du Yucatan (1).
Soudain l’un des hommes pousse un cri d’étonnement. Depuis le temps qu’ils naviguent dans ces parages, jamais il n’a remarqué ces trois grands récifs devant l’île. Peu après, un de ses compagnons crie plus fort encore. Il a cru voir bouger ces récifs […] On échange des regards inquiets. Le canot se rapproche. Les récifs ressemblent à de grands bols, à demi immergés […]. Au-dessus des masses sombres, des silhouettes humaines s’agitent. Des hommes ou des dieux ?
Cette version romancée de la première rencontre entre les Mayas et les Européens, imaginée par Claude-François Baudet (2) est racontée par Jean-Claude Ameisen dans son émission Sur les épaules de Darwin, sur France Inter (3). La rencontre avec les caravelles de Christophe Colomb a bien eu lieu et s’est produite le 15 août 1502, au large de l’île de Guanaja, dans le golfe du Honduras. Dans leur pirogue, les Mayas transportaient des marchandises dont des « amandes auxquelles ils semblaient accorder une grande valeur ». Ces amandes sont les précieuses fèves de cacao qui, pour les Mayas et les Aztèques, « n’avaient pas seulement une valeur gastronomique et économique mais une signification symbolique, cosmogonique (4) et rituelle majeure ». Ils préparaient une boisson amère et rafraîchissante, très prisée, à base d’eau et de poudre de fèves, consommée essentiellement lors de cérémonies. Les fèves de cacao servaient de monnaie d’échange.
Dix-sept ans plus tard, le débarquement du conquistador Hernãn Cortès, sur les côtes du Mexique, en 1519, marque le début de la colonisation espagnole qui engendrera la destruction des cultures et nations précolombiennes. Les massacres, l’esclavage, les déplacements forcés pour l’exploitation des ressources et les épidémies, auront décimé la population en une centaine d’années. Sur les 25 millions de personnes qui peuplaient l’Amérique centrale avant l’arrivée des Européens, il n’en restait plus qu’un million. C’est dans ce contexte de destruction que s’est déroulée la découverte et la culture du cacao dont les peuples d’Europe allaient se régaler. Aujourd’hui encore, le marché du cacao, comme nombre de matières premières, repose sur l’exploitation d’un grand nombre d’êtres humains par une poignée d’autres. Quelques multinationales, productrices de chocolat, en Europe et aux États-Unis, engrangent de mirobolants profits sur le dos des petits producteurs des zones équatoriales, qui peinent à vivre.
L’entreprise coloniale
Les Espagnols voient comment tirer profit de ces fèves, utilisées comme monnaie, pour assurer l’autosuffisance partielle de la colonie. Ils intensifient les rendements des plantations de cacao et en augmentent les surfaces. D’immenses fortunes se bâtissent sur les tributs que les populations indigènes doivent verser aux colons. « Cruel paradoxe, bien qu’ils fussent toujours légalement propriétaires des plantations, les Indiens n’en tiraient que la plus maigre subsistance », écrit Nikita Harwitch dans Histoire du chocolat (5). Pendant la plus grande partie du XVIIe siècle, le commerce du cacao se limite à la Nouvelle Espagne (6), premier marché consommateur. C’est à partir du XVIIIe siècle que les exportations vers l’Europe se développent pour répondre à la demande. Les populations indigènes qui travaillaient dans les nouvelles plantations cacaoyères sont progressivement remplacées par une main d’œuvre esclave africaine, achetée contre des fèves de cacao et transportées par des navires négriers portugais. Les grandes plantations coloniales sont en relation directe avec les firmes chocolatières d’Europe auxquelles elles vendent leur cacao. En 1822, le colonel Ferrera James, propriétaire de plantations au Brésil, acclimate des plants de cacao forastero sur les sols volcaniques fertiles des îles portugaises de Sao Tomé et Principe, à 260 km de la côte du Gabon. L’esclavage, aboli en1848, y subsiste sous « une forme voilée », le travail forcé. Vers la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe, des plants de cacaoyer sont introduits au Ghana, au Nigeria, en Côte d’Ivoire.
Le modèle capitaliste
Au Cameroun, les autorités allemandes promeuvent la culture du cacao à partir des meilleures variétés. Le continent africain devient le premier producteur mondial de cacao, surtout avec les variétés forastero, moins subtiles que le criollo des Mayas, mais plus productives.
Suite à l’abolition de l’esclavage, les anciens esclaves ont récupéré et cultivé les terres. Ils sont aujourd’hui des millions de petits planteurs dont la quasi-totalité possède moins de 10 hectares et ne tire de sa production que de faibles revenus. Le producteur de cacao est souvent un paysan pauvre, qui pour joindre les deux bouts, fait travailler sa famille, y compris ses enfants. Des enfants esclaves venus de pays plus pauvres travaillent également dans les plantations. Mais de plus en plus, les enfants désertent les champs pour tenter leur chance en ville, rebutés par les difficultés financières que rencontre leur famille. Ce phénomène menace, à relativement court terme, la filière : l’âge moyen des planteurs de cacao dans le monde se situe autour de 55- 60 ans.
La culture du cacao est difficilement rentable : il suffit d’une maladie ou d’une baisse des cours pour mettre le paysan en difficultés. Le cacao est payé au producteur à bas prix, autour d’un dollar le kg de fèves, ce qui ne l’incite pas à soigner le brassage quotidien des fèves lors de la fermentation, ni à s’échiner sur des râteaux de séchage, deux étapes importantes pour le développement des arômes et la qualité du cacao.
Il est possible de sortir la filière de ce système inéquitable, en rémunérant mieux les paysans, en valorisant la qualité et en développant la transformation des fèves sur place jusqu’à la production de chocolat. Des initiatives se développent dans ce sens, vous en découvrirez quelques-unes dans notre dossier.
Nicole Gellot
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1 – À cette époque, le pays maya s’étendait entre les côtes sud du golfe du Mexique, les côtes de la mer des caraïbes et les rives du pacifique.
2 – Auteur de Les cités perdues des Mayas, Découvertes Gallimard, 1987.
3 – Aux origines du chocolat, diffusée le 17 novembre 2018. Les cinq volets sont réécoutables sur internet.
4 – La cosmogonie est un récit mythologique qui explique la formation du monde.
5 – Histoire du chocolat, Nikita Harwitch, éd. Desjonquères, 1992.
6 – Cette vice-royauté correspond à l’actuel Mexique, presque toute l’Amérique centrale, la Californie, l’Arizona, le Nouveau Mexique, le Texas, les Philippines.
Introduction au dossier de janvier 2020 (numéro 148 de L’âge de faire) “A qui profite le chocolat ?”
- Edito « Réformer » au profit du chacun pour soi / Le Rip ne s’use que si l’on ne s’en sert pas
- LIMA Les habitants à la conquête de la rue
- Femmes le journal des silencieuses / portrait Tran To Nga, une vie de luttes
- Reportage Emma pourchassée par les ondes / La puissance des opérateurs de téléphonie
- Infographie de la fève de cacao à la tablette de chocolat
- Actu ZARA : des salaires injustes / Ils détruisent encore du savon / Grrr-ondes Trop d’écran nuit aux apprentissages des enfants / économistes atterrés
- Lorgnettes rencontre avec Andrea Quintana, activiste franco-colombienne / Pour des logements vraiment sociaux
- L’atelier Opération zéro déchet ! / Au jardin / Couture & Compagnie / Le coin naturopathie
- Fiche pratique : La lessive à la cendre
- La main à la pâte volume 2
Dossier 4 pages + infographie : A qui profite le chocolat ?
Il y a plus de 4000 ans, les Mayas cultivaient déjà le cacao. L’arrivée des Espagnols en Amérique a marqué le début de la douloureuse histoire du chocolat, liée à la colonisation et à l’esclavage. Aujourd’hui, l’industrie chocolatière repose sur l’exploitation d’hommes, de femmes et d’enfants par quelques grandes entreprises. Une poignée de planteurs, transformateurs et chocolatiers tentent de construire des filières où le travail est rémunéré au prix juste.