Moins de paysagistes, plus de paysans ! Dans l’agglomération lyonnaise, la Bergerie urbaine redonne une fonction nourricière aux espaces verts. 40 brebis, 30 bénévoles, 2 Bastien…
Des doigts petits découvrent le plaisir de toucher la laine vivante. Ça frotte, ça sent ses doigts. Les caresses sont appliquées, les regards émerveillés. À l’ombre, le petit troupeau est visiblement sur la digestion. Autour de lui, les maternelles tendent des mains plus ou moins confiantes vers ces gros animaux qu’elles ne dépassent que d’une courte tête. Certaines brebis semblent venir chercher les caresses. Et « celles qui n’aiment pas se réfugient au centre du troupeau… » Bastien Boyer observe « ses » bêtes, en particulier Jocelyne, qui commence à s’impatienter et qui va d’ici peu, c’est comme ça, transmettre son impatience à ses congénères. « Ce sont des Vendéennes, d’un naturel calme. On en est à la quatrième génération, on pourra bientôt dire que ce sont des Lyonnaises, habituées à la ville. Mais cela reste des brebis ! » Nous sommes à quelques pas des Minguettes, à Vénissieux, dans un jardin d’insertion entouré de béton. Les caresses cessent, maintenant Bastien donne de la voix : la quinzaine de bêtes se dirige dans une petite parcelle non aménagée du jardin. Des graminées à perte de vue de brebis, de l’ombre pour ruminer, le paradis.
« Écopâturage »… ou pâturage ?
Depuis la fin des années 2010, le pâturage en milieu urbain est devenu à la mode. Même Amazon s’en targue, affichant ainsi son goût pour la nature qu’il bétonne avec ses immenses entrepôts. L’ « écopâturage » a été inventé, et le marché qui va avec. Ce dernier a été rapidement investi par les paysagistes, désireux de conserver leurs clients à tout prix. Mais il reste des interstices, des plates-bandes dans lesquelles pousse une autre philosophie : celle de rendre leur fonction nourricière aux « espaces verts ». Et ça, c’est le rôle des paysans, pas des paysagistes. Bastien Boyer, la trentaine, et son collègue Bastien Massias, la vingtaine, font partie de la première catégorie. Ils élèvent un cheptel de 40 têtes, nourries seulement à l’herbe de l’agglomération lyonnaise. Les quelques « parcours » en ville, et surtout les 14 hectares des multiples parcelles dont ils ont la charge, suffisent à régaler les bêtes. « En milieu rural, les éleveurs paient pour accéder aux pâturages. Nous, c’est le contraire. C’est quand même un sacré avantage », affiche Bastien Boyer, fondateur de l’association La bergerie urbaine, en 2019. Mais il y a aussi de « sacrés » obstacles. Le plus évident est la présence de l’humain qui ne comprend pas toujours le concept de clôture, de ses chiens de compagnie qui retrouvent vite l’instinct, du chant strident des sirènes… « On a appris au troupeau à prendre les passages piétons », sourit Bastien.
Éduquer par le fait
Une trentaine de bénévoles se relaie aux côtés des Bastien, ou en autonomie, avec la possibilité pour eux de bénéficier d’une portion de la viande ou de laine le moment venu. « On pourrait conduire le troupeau à un ou deux, ce n’est pas une nécessité. On a par contre envie de développer une façon collective, ouverte, de faire de l’agriculture. » Les deux paysans se dégagent un Smic chacun via l’association… « quand la moyenne du salaire d’un éleveur ovin viande en France, avec un cheptel nécessairement bien plus important, est de 500 euros, mesure le fondateur, très clair sur le sujet : c’est grâce aux prestations d’animation, comme ce matin, que nous tenons le coup. L’élevage à proprement parler, à savoir la vente de viande, de laine, de produits transformés, et les presta de gestion pastorale, le tout représente moins de la moitié de notre activité. »
Alors les Bastien « animent », alors les Bastien « sensibilisent », alors les Bastien « font du lien social ». Mais quand on voit le regard des enfants la main sur la laine, quand les deux acolytes nous racontent les méchouis en pied d’immeuble, quand on constate ce béton mort tout autour, on se dit que c’est vital. Ce qui ne l’est pas, par contre, ce sont les allers-retours en bétaillère au gré du morcellement parcellaire et des interventions : la Bergerie urbaine est itinérante. Son ancrage est l’ancienne ferme d’une grande propriété reconvertie en centre social, dans la banlieue ouest de Lyon, celle des chirurgiens et des dircoms. Les Bastien, eux, rêvent d’une ferme urbaine, une vraie, en bas d’une tour de l’est lyonnais. « Et de travailler dans un rayon de 5 kilomètres, à pied. » Une bergerie, lieu de travail et de rencontre, avec ses paysans investis sur un territoire, qui font du lien, qui sensibilisent… tout simplement en exerçant leur métier. « C’est évidemment possible, il faut simplement qu’il y ait la volonté politique » Étonnamment, le fondateur n’est pas désespéré en prononçant ces mots. Il a même un petit éclat dans l’œil que je lui demande d’expliciter : « On attend justement une réponse importante pour un lieu approprié »… On n’en sera pas plus, pour l’instant.
Fabien Ginisty