Cindy Vésin, la petite trentaine, ne se contente pas de réparer des chaussures. Elle joue avec les matières et les couleurs pour donner une seconde vie aux vieilles godasses. Invite ses client·es au recyclage, organise des cours de « cirage de pompes »…
« Cordonnier ? C’est le mec qui fait les clés, non ? »
Il y a quelques années, quand Cindy Vésin, alors âgée de 25 ans, annonçait en soirée qu’elle réparait des chaussures, on lui répondait souvent : « Tu ne vas pas avoir de clients ! Les chaussures abîmées, maintenant, on les jette».
La cordonnerie, souvent associée à des travaux de reprographie, est pourtant l’une des activités artisanales que l’on trouve encore un peu partout, en centre-ville comme dans les galeries commerciales.
J’ai l’impression que les gens ont une sorte de déclic vers 30-35 ans.
On investit dans de meilleures chaussures, et on les fait réparer.
Le souci de produire moins de déchets est aussi de plus en plus important. Cindy
Les cordonneries comptent également des client·es désargenté·es qui n’ont pas les moyens d’acheter du neuf :
« Je répare parfois des chaussures à dix euros », Cindy
« ROI DE LA BIDOUILLE »
Après avoir travaillé dans les relations clients et l’énergie, la jeune femme cherchait une activité qui lui plaise vraiment.
Je suis allée sur artisanat.com et j’ai lu les fiches de tous les métiers.
J’ai fait une sélection en entonnoir, et c’est la cordonnerie qui est restée à la fin.
J’ai fait un stage… et j’ai adoré !On ne fait jamais la même chose, on se remet toujours en question, c’est impossible de réparer en série.
Il faut être le roi de la bidouille, parfois on nous amène de ces trucs sur lesquels on s’arrache les cheveux !
C’est ce que j’aime. Cindy
Après un CAP, Cindy a travaillé dans des ateliersà Tours, Paris et Bordeaux.
« J’étais toujours un peu bridée par mes patrons. Je donnais des idées, mais ils n’osaient pas les accepter».
En mars dernier, elle a donc ouvert sa propre boutique à Tours, L’atelier de la cordonnière, avec la volonté de «répondre aux besoins actuels des gens dans un environnement jeune et souriant».
Elle fait partie de ces artisans qui font souffler un vent nouveau sur le métier en organisant des porte-ouvertes et des ateliers, en relookant des chaussures de seconde main ou encore en valorisant les atouts écologiques de leur activité.
« Et ça marche super bien ! » se réjouit la cordonnière qui a recruté une jeune apprentie.
Le cuir utilisé pour ses réparations a subi un tannage végétal. Ses client·es vegan peuvent quant à eux choisir un « cuir » à base de liège. Une panière à l’entrée du magasin récupère de vieilles chemises, qui seront recyclées sous forme de cabas. Les chaussures dont les client·es ne veulent plus sont transformées par Cindy, qui diffuse ses opérations « avant-après » sur la page facebook de la boutique.
Ou bien elles sont données à l’école de cordonnerie pour servir de cobayes aux élèves. Sur les sacs et ceintures usagés, la cordonnière récupère des boucles que les client·es peuvent choisir plutôt que des neuves pour des raisons économiques, esthétiques ou écologiques.
« Dans ce cas, je ne leur facture pas la pièce, ils paient uniquement mon travail »,explique-t-elle.
Friande de rencontres autour de son métier, Cindy animera le 17 novembre un « cours de cirage de pompe » dans un magasin de produits alimentaires en vrac.
On verra comment entretenir ses chaussures avec de la terre de Sommières, du bicarbonate et d’autres produits que les gens ont chez eux, et comment bien les choisir en fonction de sa morphologie, pour qu’elles durent le plus longtemps possible !Cindy
Lisa Giachino
Chaque année en France se vendent 400 millions de paires de chaussures, soit environ six paires par habitant·es.
Que deviennent, ensuite, ces 243 000 tonnes de marchandises ?
Les chaussures vendues dans le commerce pourraient, dans l’absolu, être réparées. Certaines sont de bonne qualité, et cela ne pose pas de problème particulier – encore faudra-t-il en avoir le réflexe et connaître un cordonnier compétent.
Pour les chaussures de moindre qualité, par définition, les réparations devront être plus fréquentes et, très vite, cela dépassera le prix du neuf…
Ainsi, l’immense majorité des 400 millions de paires de pompes finiront dans un incinérateur, car les chaussures sont très difficiles à recycler : elles ne sont pas standardisées, sont composées de beaucoup de matériaux différents (cuirs, tissus, métaux, caoutchouc…) difficiles à séparer les uns des autres…
Pour dresser leur bilan, il faut encore ajouter le transport, puisqu’elles sont souvent fabriquées à l’autre bout du monde, dans des conditions sociales déplorables. Cordonnier serait donc un vrai métier de salubrité public.
Cet article est tiré de la version papier de L’âge de faire. Mensuel indépendant de tout pouvoir politique et économique, sans publicité, L’âge de faire vit uniquement grâce aux ventes de son journal. Pour vous informer et soutenir une presse libre, une seule chose à faire : abonnez-vous !
Au sommaire du Numéro 135 – Novembre 2018 :
- EDITO : Ode aux chercheurs chafouins
- Nocivité des ondes : Une première judiciaire
- Campagne d’abo : On continue !
- Espagne : Les oliviers d’Oliete
- Entretien : Encore un circuit automobile dans l’Aisne
- Livre : La « mondophagie » du tourisme
- Reportage : Oléron carbure à l’huile de friture
- Total s’enlise dans l’huile de palme
- Infographie : médias français : qui possède quoi ?
- Les actualités : Marseille : le feu à La Plaine
- Grrr-ondes : santé et champs électromagnétiques : ne cherchons plus
- Reportage : l’arche de Stella
- Climat : entretien avec Mariama Diallo, Alternatiba Dakar
- Fiche pratique : pas bêtes les sacs !